Naissance d'une passion

 

Naissance d’une passion



(P.S. Mes plus sincères et chaleureux remerciements à Laëtitia Quemener, relectrice-correctrice aussi rigoureuse et patiente que bienveillante, pour ses conseils et suggestions ; merci à Delphine, qui fut ma prof de fac en Master 2, ainsi qu’à Joëlle Vincent, romancière, poétesse et éditrice indépendante, pour leurs retours constructifs et encourageants ; à Guy, directement concerné par ce récit.

Le contenu, lui, n’engage évidemment que moi.)



« Avant que la poussière de ses sentiers ne vienne me brûler les yeux, l’Afghanistan, pour moi, fut d’abord un chemin de mots étiré à longueur de pages. En préambule d’un voyage clandestin, les lectures me firent découvrir ses plaines et grandir ses montagnes, m’émerveiller de la diversité de ses ethnies et de ses coutumes, m’interroger sur l’évolution de son histoire. […] Ainsi, l’immensité de cette contrée lointaine occupa d’abord mes rêves. Sans doute est-ce pourquoi j'ai abordé ce pays comme on entre dans un conte, un peu à la manière d’un enfant qui veut continuer à rêver d’un monde intense où tout est aventure ; continuer à défendre la folie grisante de la vie. »


Christophe de Ponfilly, « Massoud l’Afghan »






L’Afghanistan…

Près de dix ans que je m’y intéresse.

Dix années de lectures, de rencontres.

Des années de discussions, parfois jusque tard dans la nuit, avec des amis et connaissances familiers de ce pays.

Au point d’écrire à son sujet.

Au point, même, d’envisager d’y aller.

D’arpenter ce territoire, et de me confronter à sa réalité...


Et le voilà qui a resurgi, cet été.

De la plus cruelle, de la plus dramatique et de la plus tragique des manières.

Les Taliban, à nouveau maîtres du pays.

Pouvait-on le prévoir ?

Bien sûr que non.

Pouvait-on l’envisager ?

Oui, mais pas de cette manière.

Car les signaux, eux, étaient dans le rouge depuis un moment.

Depuis trois-quatre ans, la situation s’envenimait.

Les plus fins connaisseurs le disaient, le sentaient.

Me l’avaient d’ailleurs bien fait comprendre, lorsque j’échangeais avec certains d’entre eux par nécessité journalistique.


Ils nous prévenaient, quitte à passer pour des oiseaux de mauvais augure.

Nous aurions dû être plus attentifs.

Comme nous aurions dû l’être il y a plus de vingt ans : le Commandant Ahmad Shah Massoud avait tenté – en vain - de nous alerter sur ce danger qui, déjà à l’époque, planait sur son pays comme sur le reste du monde...


Plus de dix ans, donc, à étudier patiemment et inlassablement cette partie du monde.

Si bien qu’elle fait partie de ma vie, en quelque sorte.

D’où me vient cet intérêt, mué en passion, pour cette contrée ?


En premier lieu d’un ami, rencontré via le monde associatif.

Guy, c’est son prénom, est un Grenoblois qui arpente l’Afghanistan depuis les années 1980.

Né en 1940, devenu médecin, grand sportif, engagé auprès de Médecins du Monde - France dès sa création, il a compté parmi les « French Doctors », ces pionniers de l’humanitaire qui, aidés par les moudjahidin, parcouraient clandestinement le pays qu’occupait alors l’Union Soviétique.


Marié et père de famille, Guy souhaitait, à l’époque, pratiquer la médecine à l’étranger une partie de l’année. Durant une période suffisamment longue, pour pouvoir s’imprégner du pays dans lequel il comptait exercer.

Son choix se porta donc sur l’Afghanistan, où il alla barouder quelques mois, l’un de ses confrères assurant, en son absence, la permanence de son cabinet médical.

Après quoi, sa première mission effectuée, il revint.

Puis il repartit, avant de rentrer à nouveau.

Et d’y retourner, et ainsi de suite...

Sa vie, dès ses premières incursions dans l’action humanitaire internationale, fut ainsi rythmée : quelques mois en Afghanistan, à Kaboul ou dans les montagnes du Panjshir, à aider et soigner la population (notamment les toxicomanes), puis retour en France, auprès des siens.

Un quotidien dense, et prenant.

Une vie passionnante et riche, forcément.

Mais pour le moins singulière, aussi, pour ses proches, en particulier son épouse et ses enfants (alors en bas âge), qui n’eurent d’autre choix que d’accepter. Et de s’accoutumer.

Un vrai choix de vie.

Guy a continué – et continue - d’y aller, en tant que médecin respectueux de son serment.

En tant qu’ancien scout, initié dès l’enfance aux principes de solidarité et de débrouillardise.

En tant que citoyen engagé, nourri, entre autres, aux œuvres de Camus et Kessel.

Mais il l’a aussi fait, assurément, comme tous ceux avec lesquels j’en ai parlé depuis, et qui, au moins une fois, eurent l’occasion d’y aller... parce qu’il était tombé amoureux de ce pays.

Il ne voulait pas le « lâcher ».


Au cours des années 1990, l’Afghanistan étant à l’époque sous le joug rigoriste des fondamentalistes islamistes (les fameux « taliban »), Guy aida son ami Ahmad Ashraf, alors jeune chirurgien originaire de Kaboul, à quitter le pays. Avec eux, et tandis qu’ils soignaient des civils dans les montagnes afghano-pakistanaises, se trouvait un troisième compagnon de route : Michael Barry.


Franco-américain, historien et persanophone, Michael Barry était à leurs côtés au titre d’enquêteur pour la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (F.I.D.H., équivalent d’Amnesty), mandaté pour réaliser un rapport sur les crimes de masse perpétrés dans la région. Devenu l’un des meilleurs spécialistes de l’Afghanistan (son ouvrage exceptionnel, « Le Royaume de l’Insolence », est une référence aussi bien sur le fond que sur la forme), il est désormais professeur à l’Université américaine de Kaboul.


Jamais interviewé par le moindre média français (énième incongruité de nos chers médias...), sa dernière - et presque unique - intervention publique remonte à 2019, lorsque mon collègue Guillaume Fourmont eut la bonne idée de réaliser avec lui, et à distance, un entretien pour l’excellente revue « Moyen-Orient », laquelle consacrait un consistant dossier au pays (dossier auquel j’eus le grand plaisir de contribuer, par une analyse de l’économie de la drogue).


De cet entretien, aussi dense que passionnant, je retiendrai cette phrase, lancée comme un avertissement : « On ne peut pas laisser l’Afghanistan aux Taliban, c’est une faute morale »...


Pendant que leur ami Mike Barry menait ses investigations, Guy et Ahmad, quant à eux, quittèrent donc rapidement l’Afghanistan pour rallier la France, et plus précisément Grenoble.

Là, Guy aida Ahmad à s’installer, puis contribua à la création de l’antenne locale de Médecins du Monde, dont il assura dès lors la direction (ce qu’il fera pendant vingt ans).

Son implication active auprès de l’association conduisit celle-ci, en tout logique, à le nommer, au niveau national, Responsable des Missions pour l’Afghanistan.

Il en est aujourd’hui le Responsable Historique.


Par leurs engagements humanitaires respectifs, et aussi, bien entendu, afin de maintenir le contact avec leurs proches et connaissances restés au pays, Guy et Ahmad sont, depuis lors, retournés chaque année en Afghanistan.


Chacun d’eux a, pour ainsi dire, fait sienne la devise de Médecins du Monde :

« Soigner et Témoigner ».


C’est en 2007 que le chemin de Guy et le mien se sont croisés, lors d’une conférence.

L’ayant déjà aperçu lors d’un événement semblable, j’étais à ce moment-là en quête de soutiens pour monter, en tant que membre de la Ligue des Droits de l’Homme, un projet de conférence - exposition photographique sur le conflit au Darfour (Soudan).

Je suis donc allé droit vers lui et lui ai résumé mon projet, qui l’intéressa grandement (Guy, je l’apprendrai avec le temps, est toujours motivé et mène en permanence 15 projets à la fois!).

Il nota mon nom sur son calepin déjà tout griffonné (Guy, je l’apprendrai aussi, est peut-être la personne la plus bordélique que je connaisse!), et nous convînmes de rester en contact.


Nous nous sommes ensuite revus, revus et encore revus, de très nombreuses fois et, le plus souvent, à son cabinet médical ou au local de l’association. J’y ai fait la connaissance de certains bénévoles, toujours débordés mais toujours enthousiastes et prêts à aider, comme Angélique, jeune permanente de l’ONG.

Guy et d’autres volontaires, comme Angélique, m’ont aidé pour le projet d’exposition, qui se concrétisa en décembre 2008, marquant le 60e Anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

En parallèle avaient été prévues – par mes soins, puisque j’en étais le responsable - des tables-rondes auxquelles participèrent journalistes, chercheurs, photographes et membres d’ONG internationales.

J’ai pu garder contact avec certains d’entre eux.


Surtout, à force de nous voir, de prendre des repas ensemble, de discuter à bâtons rompus de choses et d’autres, une amitié avec Guy a vu le jour.

Plus le temps est passé, plus il m’a parlé de cet Afghanistan mystérieux et intrigant qui a occupé tant de place dans sa vie, et plus ce pays m’est devenu étrangement familier, même à distance.

Il m’a souvent parlé de ses liens avec certains reporters, comme l’écrivain-voyageur multi-récompensé Olivier Weber (que j’eus l’occasion, merveilleuse, de rencontrer au Grand Bivouac d’Albertville), Dorothée Olliéric, Florence Aubenas, Jean-Pierre Perrin ou Memona Hintermann.


Son périple avec le regretté Didier Lefèvre, authentique protagoniste de l’exceptionnelle bande dessinée « Le photographe », avec lequel il avait crapahuté dans les montagnes afghanes.


Chaque fois qu’il me raconte Kaboul, Kandahar, Herat, Mazar-e-Sharif et la Vallée du Panjshir, les cités pakistanaises d’Islamabad, de Karachi ou de Peshawar, ces lieux possèdent, grâce aux récits qu’il m’en fait, une histoire concrète.

Du vécu.


Guy a beau avoir vu bien d’autres contrées non moins tumultueuses – et assisté, aussi, à d’autres drames humanitaires - en Iran, en Turquie, en Irak, Indonésie ou Tchétchénie, l’Afghanistan, toujours, demeure dans un coin de sa tête, revenant d’une manière ou d’une autre dans nos discussions. Enrichies de ses innombrables anecdotes (« Ça fait un peu ancien combattant ! », m’a-t-il confié un jour en riant), ces conversations, passionnantes, m’ont permis, en quelque sorte, de rendre presque palpables et vivantes ces contrées qui m’avaient jusqu’alors paru lointaines et abstraites.


Qu’il me parle de ses rencontres avec le regretté Commandant Massoud, ou de ses pérégrinations à Peshawar – véritable marché des armes à ciel ouvert -, mais aussi à force de le questionner (et parfois, même, de l’interviewer), Guy, que je vois toujours car il n’a pas cessé d’exercer, m’a mis le pied à l’étrier de deux éléments qui ont marqué mon parcours, et qui ont fait de lui bien plus que mon « simple » médecin: il m’a, d’une part, éclairé sur ce qu’est l’Afghanistan, son histoire, sa culture et ses enjeux ; d’autre part, il m’a fait découvrir, à sa manière, les coulisses de l’action humanitaire internationale.


C’est ainsi, et par son entremise, que je fus plusieurs fois convié à assister à des réunions au siège parisien de l’association. A ces réunions, participaient d’autres organisations œuvrant également dans le pays et qui, pour certaines d’entre elles, et malgré tous les risques encourus, le faisaient depuis près de quarante ans : Handicap International, A.C.T.E.D., Afrane, Solidarités, Afghanistan Libre, ou encore la jeune association de plaidoyer Crisis Action. Toutes avaient accepté de travailler ensemble et, dans cet esprit, rallié le C.O.F.A., acronyme désignant le « Collectif d’ONG Françaises en Afghanistan », que Guy avait cofondé et qu’il codirigeait en compagnie d’autres baroudeurs pareillement expérimentés, comme Alain Boinet ou Etienne Gille.


Dès lors, j’eus la chance (et le privilège) de rencontrer des chefs de mission, d’échanger avec des stagiaires, d’écouter des compte-rendus d’activités sur le terrain, compte-rendus qui, cela va de soi, n’étaient pas destinés à être rendus publics.

Je découvrais un monde - vraiment - à part entière.

Et pouvoir assister à de telles réunions était, pardon de le répéter, une chance incroyable.


Mais j’y entendais, aussi, les drames et les horreurs de la guerre.



« Oui j’ignore ce qu’est la guerre, à ce moment-là. C’est vrai. J’en connais les conséquences. Mais j’en ignore la poussiéreuse, métallique et folle réalité. Je n’ai jamais participé à un combat, je n’ai jamais vu comment l’armée constitue des prisonniers, installe des mines, prépare des missions, bombarde ou rase des villages. Du jour au lendemain, cet enfer deviendrait concret. »


Ahmad Ashraf, « Nos luttes cachent des sanglots »




Ces échos-là, difficiles à oublier, me parvenaient lors du tour de table effectué en tout début de réunion.

Là, chaque chef de mission délivrait son rapport : activités, besoins, projets.

Mais outre ces données factuelles, nécessaires à la poursuite de leurs missions, ils relataient, aussi, les exactions subies par certains de leurs amis et collègues officiant sur le terrain...

J’entendais alors les mots « exécution », « décapitation »...

Tel représentant onusien avait ainsi été épargné lors d’une attaque au seul motif qu’il parlait couramment le dialecte local, contrairement aux autres membres de l’équipe, dont les corps avaient été « retrouvés mutilés à quelques kilomètres du dispensaire... »


Ces drames, bien sûr, ne seraient jamais relayés dans les médias.

Pas plus que leurs auteurs et commanditaires, dans un pays aussi dense et reculé que l’Afghanistan, ne pourraient être un jour clairement identifiés.

Surtout, ces récits m’ouvraient les yeux, et de manière particulièrement crue, sur la réalité d’un conflit. Un conflit qui s’enlisait, et sur lequel semblait ne jamais devoir s’écrire le mot « fin ».

Il s’agissait là d’une réalité monstrueuse, et quasi quotidienne.

Cette réalité avait pour nom « guerre », et c’était bien à cette réalité-là que la population afghane, prise dans l’étau meurtrier de conflits historiques et géopolitiques pervers et sournois qui ne la concernaient pas, était confrontée depuis bien trop longtemps.

Une réalité devenue impossible à ignorer.

Je ne pouvais dès lors qu’écouter, bouche bée et livide, ces descriptions qui ne manquaient pas de me glacer le sang, et me ramenaient violemment et brutalement sur Terre...


Et pourtant, malgré l’atrocité de ces drames, racontés dans un silence lourd de sens... j’aimais être là.

J’aimais assister à ces réunions.

Le simple fait d’y être, de pouvoir côtoyer toutes ces personnes, d’écouter presque religieusement leurs témoignages, de pouvoir bénéficier de leurs expériences et de leurs lumières, me donnait souvent l’impression d’être invité dans l’antichambre du « Dessous des cartes » (pour citer une émission que j’affectionne grandement).


Les enjeux géopolitiques et diplomatiques (qui, bien sûr, étaient aussi évoqués en réunion) m’apparaissaient, dans ces moments-là, avec une dimension infiniment plus intéressante.

Car ils prenaient alors une saveur bien plus concrète et, c’est le moins qu’on puisse dire, bien plus réelle.

Ce n’étaient pas des ouvrages académiques de théoriciens ou des entrefilets dans la presse qui m’apprenaient ces aspects si tangibles - et cruels, aussi - de la vie afghane, mais bien des hommes et des femmes dévoués. Et qui, malgré leurs doutes et leurs angoisses légitimes, continuaient à œuvrer.


Je l’admets et l’assume sans honte, au risque de passer pour un candide : j’admirais – j’admire toujours - ces hommes et ces femmes. Jeunes ou plus aguerris, étudiants-stagiaires ou vétérans, ces humanitaires accomplissaient une tâche qui me paraissait tout à fait herculéenne, et à laquelle j’aurais été bien incapable de m’atteler, surtout avec autant de sang-froid et de persévérance.

Et avec une telle constance.

Tous et toutes étaient mus par un même objectif : aider un pays, dont une trop grande partie du monde se foutait depuis longtemps, à rester debout.

A tenir, et à vivre, malgré tout ce qui leur était infligé.

Rien que ça.


Cette parenthèse, bouillonnante humainement et intellectuellement, dura trois ans.

Trois années, à dévorer la littérature sur le « sujet », à assister à un nombre incalculable de conférences à Grenoble, Chambéry, Lyon, Genève, Paris…

A lire, à vouloir comprendre encore.

A échanger avec des spécialistes aux quatre coins du monde.

A rencontrer des Afghans – Tadjiks, Hazaras... -, établis en France et qui, toujours très amicalement, m’ont à leur tour aidé à comprendre leur pays. M’ont raconté leurs parcours.

Trois ans à écrire, à publier.


Le monde associatif m’était déjà un peu familier avant de faire la connaissance de Guy ; j’avais effectivement séjourné, auparavant, au Burkina Faso et au Proche-Orient, également dans des contextes humanitaires.

Côtoyer Guy n’a fait que décupler ma soif de connaissances, de rencontres et de découvertes.


Et c’est en 2011, alors que j’étais sur le point de reprendre des études supérieures (Master 2 en Droit public à Grenoble), que j’ai rencontré l’ami de Guy, le Dr. Ahmad Ashraf.

Celui-là même que Guy avait aidé à fuir son pays, vingt ans plus tôt.


Un heureux concours de circonstances permit cette rencontre.


Au printemps 2011, et sur les conseils de Damien, un très bon ami journaliste à France 3 Grenoble, la responsable d’une M.J.C. Iséroise prit contact avec moi : elle me sollicitait pour animer, en tant que journaliste spécialisé sur ce pays, deux tables rondes consacrées à la reconstruction en Afghanistan.


D’abord flatté, c’est toutefois la gêne qui prit rapidement le dessus, ce dont je lui fis part : j’avais beau étudier à fond l’Afghanistan, je n’y avais encore jamais mis les pieds et ne me sentais donc aucune légitimité à orchestrer, à ce titre, un tel événement.

La responsable en question me rassura en m’expliquant qu’il n’y avait aucune nécessité de cet ordre : le fait de maîtriser les données principales du sujet, ses tenants et ses aboutissants, d’être en mesure de poser les bonnes questions, d’animer les débats... voilà tout ce qu’on attendait de moi.

Stressé, comme toujours à la perspective d’une intervention publique, mais rassuré par ces mots, j’acceptai de bonne grâce. D’autant plus que certains des intervenants (une dizaine au total) qui exerçaient au sein d’associations humanitaires, m’étaient familiers.


Parmi eux : Pierre Micheletti.

Médecin grenoblois, très investi dans le secteur hospitalier local, enseignant à Science-Po et ami de longue date de Guy, Pierre Micheletti a longtemps dirigé le programme Amérique Latine au sein de Médecins du Monde, avant d’assurer la présidence pleine et entière de l’association, de 2009 à 2014 ; il a ensuite rejoint le Conseil d’administration d’Action Contre la Faim, association dont il est, à ce jour, le Président. Il a eu, entre-temps, l’opportunité de se rendre en Afghanistan.

Il est, en prime, l’auteur de nombreux articles (notamment dans Le Monde diplomatique) et d’excellents ouvrages consacrés à l’humanitaire, comme « Les orphelins », roman inspiré de l’affaire de l’Arche de Zoé (Darfour), et « Afghanistan. Gagner les cœurs et les esprits », livre collectif dont il assuré la direction.

J’avais déjà eu le plaisir de le rencontrer à plusieurs reprises lorsqu’il dirigeait Médecins du Monde.

Malgré son emploi du temps chargé, j’étais donc plus que ravi d’apprendre sa présence à l’événement.

Au moment où j’écris ces lignes, je suis toujours en contact avec lui.


Retour à l’été 2011.

Les démarches pour la conférence furent donc entreprises, tout comme les premiers échanges avec les intervenants… dont le Dr. Ahmad Ashraf. Je ne le connaissais pas encore, mais les animatrices m’informèrent que ce neurochirurgien originaire de Kaboul venait de publier « Nos luttes cachent des sanglots », dans lequel il relate son parcours depuis Kaboul jusqu’à Grenoble.


Je m’empressai naturellement de dénicher le livre en question… que je dévorai: son livre était passionnant, et merveilleusement écrit. Sans parler de la belle préface, signée du romancier et cinéaste Atiq Rahimi. En parallèle de mes démarches nécessaires à la bonne tenue des conférences, je décidai de me fendre d’une critique de l’ouvrage que j’envoyai, dans la foulée mais sans grande conviction, à Evelyne Piellier, journaliste chargée des critiques littéraires au Monde diplomatique. L’article, à ma grande joie (et à ma grande surprise!), fut publié quelques semaines plus tard.

C’est ainsi, alors que j’allais animer deux conférences sur un sujet qui me passionnait, et avant même de reprendre le chemin de l’Université, que je fis mes « premières armes » dans les colonnes du Monde diplomatique, mensuel indépendant de référence en presse écrite auquel je rêvais de contribuer.


Les tables rondes, elles, se passèrent au mieux.

Je fus ravi de les animer, et peut-être encore plus de voir ma mère, ce qui n’était pas fréquent, y assister.

En outre, je suis même parvenu, malgré le temps et la distance qui jouent souvent en notre défaveur, surtout lorsque les contacts sont ténus, à pérenniser certaines correspondances.


Et je fis donc, entre-temps, la connaissance de ce cher Ahmad Ashraf.

Un homme charmant, drôle, disponible et dévoué.

Divorcé, père de deux enfants et vivant, seul, dans son modeste mais coquet appartement près de la gare de Grenoble… mais quelqu’un d’atypique, aussi. Difficile à cerner, doté d’un tempérament parfois déroutant – oserais-je dire volcanique ? - comme d’autres et moi-même aurions, à nos dépens, l’occasion de le découvrir...


Après toutes ces années, et bien que la chronologie précise de ces événements m’échappe aujourd’hui en grande partie, je me souviens surtout du fait que, rapidement après avoir correspondu par e-mail et téléphone, puis nous être entretenus dans un café peu de temps avant les conférences, Ahmad m’invita chez lui pour y poursuivre nos discussions à bâtons rompus.

Nous rediscutâmes, bien sûr, de son livre, de sa rencontre avec Guy et de son propre travail, en tant que neurochirurgien, avec l’association La Chaîne de l’Espoir et au C.H.U. de Grenoble.

Je fis également la connaissance d’Alexandre et d’Élisa, ses enfants, de son ex-épouse avec laquelle il avait conservé de bonnes relations. Je rencontrai ses amis, et certains de ses collègues.

Nous passâmes ainsi de nombreuses soirées : un apéritif en début de soirée, puis, parfois en nombre plus restreint, un bon repas typiquement afghan qu’Ahmad avait préparé à notre intention, et dont nous nous régalions. Des moments extrêmement plaisants, régénérants... et hors du temps.

Nous plaisantions, et ces soirées, mémorables, furent aussi l’occasion pour moi de découvrir que les Afghans sont aussi bien rodés à l’humour noir que les Anglais ou les Irlandais !


Toujours ravis de nous voir, je ne pouvais m’empêcher, lorsque Ahmad me recevait chez lui, d’aller fureter dans les livres qu’il possédait.

Des livres consacrés, évidemment, pour la plupart, à son pays natal.

Des ouvrages en anglais ou en français, comme les enquêtes fouillées du journaliste Ahmed Rashid.

Récits et poésies en persan, qu’il eut l’amabilité de me traduire.

De superbes livres consacrés à l’histoire et à l’architecture.

Herat, les bouddhas de Bamyan, le magnifique lac bleu azur de Band-e-Amir… Ces noms et ces images me faisaient rêver...


Il me montra ses albums contenant de vieilles photographies.

C’est alors qu’il m’en désigna une, en particulier.

La photo, m’expliqua-t-il, avait été prise dans les années 1990.

Il s’agissait de l’intérieur d’une bicoque, quelque part en Afghanistan.

Un habitat dans lequel on le voyait lui, Ahmad, en compagnie de notre ami Guy et de... Mike Barry.

Michael Barry, le fameux éminent historien qui les accompagnait, à l’époque, comme enquêteur pour une organisation humanitaire internationale.

Ce cliché, je n’arrivais pas à m’en détacher.

Car ce simple document visuel, légèrement abîmé par l’usure, et a priori anodin pour quelqu’un qui n’eût pas été familier de leur histoire commune, se teintait d’une signification toute particulière dans mon esprit. Parce qu’il résumait presque tout, depuis ma rencontre avec Guy jusqu’à ma présence ici, chez Ahmad : j’y voyais cet historien et immense écrivain, Mike Barry, dont j’avais si souvent entendu parler de réputation (non seulement grâce à ses publications, mais aussi par les écrits, superbes, de Christophe de Ponfilly), à côté de ces deux médecins, français et afghan, qui l’accompagnaient en mission humanitaire...

Ces deux médecins dont j’avais, à mon tour, fait la connaissance plus de vingt ans après, et qui, devenus mes amis, partageaient avec moi leurs précieux moments, leurs souvenirs et, disons-le franchement, leurs expériences peu communes.

Depuis que je les avais rencontrés, Guy et Ahmad me racontaient l’Histoire en marche, telle qu’eux-mêmes l’avaient vécue.

Leur histoire, de fait, était plus forte que n’importe quelle fiction.

Elle était plus vivante, aussi, que n’importe quel cours magistral.

Parce que cette histoire était vraie, et qu’ils en avaient été les protagonistes.

C’était une histoire magnifique, empreinte d’humanité et puissamment inspirante.

Et c’est précisément de cela dont témoignait, à mes yeux, cette photographie qu’Ahmad me montrait, et sur laquelle tous trois, plus jeunes, barbus et portant leurs sacoches de baroudeurs, figuraient : un témoignage visuel de ce qu’ils avaient traversé, là-bas.

Et, aussi, de tout ce qu’ils étaient en train de me transmettre.

Pour cette « simple » raison, cette photographie ne cessait d’accrocher mon regard.

Guy et Ahmad me permettaient d’accéder à leurs histoires personnelles, lesquelles étaient liées, depuis près de trente ans, à cet Afghanistan qu’ils m’apprenaient à connaître.

Un pays auquel je m’étais attaché grâce à eux, et que je voulais comprendre, moi aussi.

Ce pays qui avait cimenté leurs convictions, leurs engagements et, malgré les inévitables soubresauts de la vie, leur amitié.


C’était comme un passage de relais, dont je me sentais un témoin à la fois heureux et chanceux.

Privilégié.


Petit à petit, nos passions communes, en l’occurrence notre appétence prononcée pour l’écriture, nous amenèrent, Ahmad et moi-même, à envisager de travailler ensemble.

Le projet qui nous tenait à cœur, dans un premier temps, consista en l’écriture d’un long article.

Nous commençâmes dès lors, chacun de notre côté, la rédaction d’un papier que nous ambitionnions de publier, en binôme, dans le Monde diplomatique ; par sa ligne éditoriale et la grande qualité littéraire de ses publications, ce journal, dont nous partagions clairement la couleur politique, avait notre préférence. Nous nous y sommes donc attelés...


Mais avant de poursuivre, quelques précisions...


L’écriture n’est pas un exercice aisé : on est seul avec soi-même, « dans notre monde », plongé dans un univers qui englobe nos idées, et qui correspond à une temporalité qui, par définition, nous est propre.

Écrire, c’est un moment intime.

C’est un acte personnel et, par définition, solitaire.

Et il n’est pas plus simple à pratiquer de manière collective, ne fût-ce qu’en y associant une personne supplémentaire. Et ce quel que soit le sujet.

Deux auteurs, cela implique nécessairement, et même s’il y a des convictions partagées, deux personnalités, deux sensibilités, deux écritures.

Et forcément, fatalement, deux points de vue.

Ces points de vue peuvent certes être complémentaires, mais il est impératif d’en dégager une osmose : on assure ainsi la cohérence générale du document et son ossature, tout comme on en limite les contrastes - qui peuvent être importants à la lecture finale - dans la narration elle-même.

Cela, bien entendu, afin de ne pas dérouter le lectorat.

Un journaliste n’écrit pas forcément comme un historien, pas plus qu’un médecin n’a la même plume qu’un auteur de polars. Dès lors que nous écrivons, nous sommes tous, consciemment ou non, influencés et inspirés par d’autres. C’est comme ça, et on doit faire avec.

Mais il est impératif de travailler le récit, pour qu’il soit structuré et fluide.

Une vraie gageure, puisqu’il faut connaître son sujet et savoir, en prime, l’exprimer par écrit.

Rien de moins simple.

Le projet journalistique qu’Ahmad et moi-même nous étions fixés répondait à l’exigence suivante : développer, par écrit, une analyse de la situation en Afghanistan à l’attention de lecteurs intéressés, mais pas forcément spécialistes ; là était notre perspective (en tout cas la mienne), et la ligne directrice à conserver durant le processus d’écriture; un équilibre périlleux, qui requiert de s’exprimer à la fois de manière vivante – pour retenir l’attention du lectorat - et ludique – pour l’« éclairer »-.

Faire confiance à l’intelligence des lecteurs, aussi : ces derniers ont beau ne pas connaître votre histoire, ils comprennent et ressentent très bien ce que vous, vous leur racontez.

Et pour cela, une certaine mesure, au niveau de la forme, doit être tenue : l’article, aussi passionnant et éclairant soit-il, ne doit pas être virulent ni verser dans le pamphlet, au risque de faire fuir le lectorat.


Il faut donc, déjà, parvenir à franchir ces étapes-là, et ce ne sont pas les moindres...


Voilà, en ce qui me concerne, ce que j’ai retenu de cette collaboration avec Ahmad.

Car c’est, à mon grand désarroi, pour ces raisons que... le bât a blessé.


Avec le recul que me permettent les années qui se sont écoulées, j’ai fini par comprendre, sans vouloir ôter mes propres défauts, que la très forte personnalité d’Ahmad a joué - et pas dans le sens espéré - dans le fait que nous ne sommes pas parvenus à travailler, véritablement, ensemble.

Aucun article cosigné par nos soins (du moins dans Le Monde diplomatique) n’a donc vu le jour.

L’envie, l’énergie et les idées étaient bien présentes… mais ces ingrédients-là, seuls, ne suffisent pas à garantir la qualité d’un article. Et ne suffisent pas non plus à créer l’alchimie créatrice, indispensable à nourrir un tel travail d’équipe, si réduite soit-elle. C’est ce qui a fait défaut à notre (brève) collaboration, et conduit à l’avortement de ce projet qui nous enthousiasmait grandement.

Et pourtant…


Un soir de printemps, alors que Guy et moi-même étions invités chez Ahmad, ce dernier lança une autre idée. Assis tous deux en face de moi, Ahmad annonça à Guy :

« Guy, je vais à Kaboul fin juillet, et je voudrais que Jérôme, cette fois, soit du voyage avec moi ».

J’étais sidéré.

Je n’étais pas au courant, évidemment.

Surtout, Ahmad avait sorti cette phrase, lancée comme un missile, avec un tel naturel et d’une manière si évidente, presque désinvolte, que, l’espace de quelques secondes, je suis resté interdit.

Aller à Kaboul, en compagnie d’Ahmad… et peut-être de Guy ?

Voilà, nous y étions.

Je n’ai su que dire, et me suis senti, presque littéralement, devenir blanc.

Bien que pris de court, j’étais évidemment partant !

C’est alors que Guy, enthousiasmé par cette perspective, proposa une idée dont nous parlâmes – passionnément, mais est-ce utile de le préciser ? - durant tout le succulent et copieux dîner, et qui ajoutait encore plus de sens à ce qui aurait pu n’être, pour eux comme pour moi, qu’un « simple » voyage : écrire un livre ensemble.

Un vrai projet d’écriture, au sein duquel chacun de nous aurait sa partition à jouer.

Ahmad avait écrit et publié son récit, Guy écrivait des textes personnels relatant ses multiples expériences dans l’humanitaire, écrits qu’il n’avait, toutefois, jamais faits éditer (mais qu’il m’avait permis de lire, et que j’avais parcourus avec grand plaisir).

Je n’aspirais qu’à pouvoir être de la partie, avec eux.

Et participer, enfin, à l’écriture d’un « vrai » livre.

Le sujet sur la table jusque tard dans la soirée, nos idées commencèrent à affluer comme sur un rapide : ce livre, chapeauté par nos soins, donnerait la parole aux Afghans et aux Afghanes qui n’avaient jamais eu l’occasion de s’exprimer, et qu’eux-mêmes, Guy et Ahmad, connaissaient personnellement.


Pour ma part, j’avais une idée assez précise de quelle « frange » de la population je souhaitais interviewer : les étudiants.

Qu’ils ou elles étudient l’histoire, le droit, l’économie, la science-politique, les arts (musique, cinéma, littérature), le journalisme, la médecine ou l’architecture, ces jeunes incarnaient et représentaient l’avenir de ce pays, et je voulais que nous leur donnions la parole. Les propos d’« experts » ne suffisant pas, de notre point de vue, à faire entendre et sentir le pouls du pays, il s’agissait avant tout de faire parler – et d’écouter – les doléances de cette jeunesse afghane, tout comme ses envies, ses aspirations et ses idées afin de redonner espoir - ou devrais-je dire espérance - à la reconstruction de l’Afghanistan.


C’est de cette manière, en discutant, en imaginant, en échangeant et en échafaudant nos idées, en nous projetant tous les trois, là-bas, que Guy dénicha au débotté le titre envisagé pour cet ouvrage en gestation : Paroles Afghanes. Puis, jamais à court de bonnes idées, il suggéra dans la foulée : « Je demanderai à mon copain Olivier Weber s’il accepterait d’en écrire la préface ! »


Le projet était né, et Guy comptait en ébaucher lui-même, très rapidement, une trame par écrit.

Ce qu’il fit en peu de temps.

Nous étions d’accord sur les grandes lignes, et plus qu’enthousiastes à l’idée de concrétiser ce beau projet. Et moi, bien sûr, de pouvoir partir avec eux.

De pouvoir tâter ce fameux terrain.

Comme me le dit un jour Guy: « Il faut que tu le sentes, ce pays. Que tu le voies de tes propres yeux. »

Restait une étape : en discuter avec l’éditrice d’Ahmad, celle qui avait publié son premier livre et que j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer.

Par son travail, elle serait, estimions-nous, à même de nous faciliter les choses au niveau de la rédaction, de la mise en page, etc.


Nous nous revîmes donc tous les quatre, un soir, comme à l’accoutumée, chez Ahmad.

Et cette soirée prometteuse, qui nous réunissait autour d’un projet ambitieux et enthousiasmant, se transforma… en revirement total.

Et brutal.

Et j’en fus, malgré moi, la cible involontaire.

Pierrette, l’éditrice, ne soutint absolument pas notre projet.

La cause de son refus… c’était moi.

Je n’étais, selon ses propres termes, pas « légitime » à participer à ce projet...

Ses questions, posées en rafales, s’apparentèrent à un interrogatoire.

Elle parvint, même, à me faire penser que je n’étais qu’un parfait imbécile, inconscient de la situation dans laquelle je m’embarquais.

Parlais-je la langue ? Que ferais-je si, invité à tel ou tel endroit, une femme se trouvait dans la même pièce ? Comment me comporterais-je si… ? Cela dura un bon moment. Un moment bien trop long.

Il ne viendrait à l’esprit de personne de poser de telles questions à quelqu’un de motivé pour partir en voyage, quelle que soit sa destination et, surtout, si des personnes de confiance l’accompagnent.

Dans l’esprit de Pierrette, si.

Abasourdi, et atterré, par cette séquence presque accusatoire, je n’ai, rétrospectivement, pas la moindre idée de la manière dont cette soirée, cauchemardesque pour moi, s’est terminée.

Descendu en flammes, je n’eus pas l’aplomb (ou même la présence d’esprit) de « défendre mon bifteck », pour reprendre l’expression de mon père.

Par la suite, Ahmad et Guy ont publié leurs propres ouvrages (sous la houlette de Pierrette, évidemment), celui de Guy s’intitulant « L’histoire des hommes nous concerne tous ».

De mon côté, me reste toujours en travers, dix ans plus tard, son refus de nous aider (ou de me voir participer, ce qui revient au même).

Un refus motivé, à mon sens, par des arguments aussi farfelus que de pure mauvaise foi.

Et dont je ne saisis toujours pas, encore aujourd’hui, la finalité.

D’autant plus, au risque de paraître prétentieux, que je connaissais mieux le sujet qu’elle et ce, grâce, précisément, aux deux amis avec lesquels ce projet avait émergé.


Elle a donc brisé notre projet… et foutu en l’air mon rêve de pouvoir visiter ce pays avec mes deux comparses.

Sans doute, oui, sans doute aurait-on pu ou dû s’y prendre mieux, ou autrement.

Peut-être aurait-on dû s’adresser à quelqu’un d’autre, de plus ouvert ou de plus conciliant.

Sûrement.

Mais ces questions ne nous traversèrent pas l’esprit à ce moment-là, tant nous étions convaincus que nous obtiendrions de l’aide rapidement, et facilement.

Et tant je fus, ce soir-là, terrassé par la froideur (ou le mépris ? l’arrogance?) de la réaction de Pierrette, dont le parisianisme – mais peut-être n’est-ce là qu’un préjugé - m’apparut dès lors dans toute sa laideur.

Peut-être, je dis bien peut-être, son propos contenait-il, sur le fond, une part de vérité.

Mais sur la forme...


Ma colère à l’égard de cette éditrice ne s’est pas tarie : elle est toujours là.


Nous sommes maintenant en octobre 2021, et dix années ont passé.

Je n’ai, cela va de soi, plus le moindre contact avec l’éditrice.

Peu après la publication du second ouvrage d’Ahmad (« La dévastation »), et surtout en raison du contenu aussi virulent que maladroitement antimilitariste de cet opus, Pierrette a fini par couper les ponts avec Ahmad.

Puis Ahmad fit de même... avec nous tous.

Un silence net et brutal, qui a duré des années.

Cela malgré mes propres relances, et sans que j’en comprenne la raison.

Tout le monde a été surpris, et personne n’a compris.


Des années de silence, jusqu’à… septembre dernier.


C’est en revoyant Pierre Micheletti (déjà mentionné), venu en librairie dédicacer son dernier ouvrage, que j’ai eu des nouvelles d’Ahmad.

Ce dernier semblait avoir connu de grands chamboulements dans sa vie, et venait de refaire surface. Il avait daigné répondre, bien que succinctement, au message de Pierre l’invitant à participer à une conférence cet hiver prochain, événement auquel notre ami Guy sera également convié.


Guy, quant à lui, justement, est désormais mon médecin traitant, ainsi que celui de ma mère.

Il m’appelle affectueusement « Mon grand », et m’a beaucoup aidé dans la préparation de certains de mes récents articles. Toujours par monts et par vaux, il n’a en rien cessé ses activités humanitaires.


En attendant, peut-être, de croiser à nouveau ce cher Ahmad, Guy, Pierre et moi-même, de notre côté, suivons toujours avec grand intérêt ce qui se trame… là-bas.


Où je ne désespère pas de pouvoir me rendre, un jour.

Et, si possible, remettre sur les rails ce projet d’écriture, d’une manière ou d’une autre.


A suivre…





Jérôme DIAZ

Auteur indépendant

(Coauteur « Cahier de L’Herne John le Carré », Avril 2018)

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